Abstract
Les conduites suicidaires (CS) sont de déterminisme complexe et multi-factoriel. Au sein des nombreux facteurs de risque qui ont été identifiés, les études de génétique épidémiologique (études familiales, de jumeaux et d’adoption) suggèrent l’existence d’une vulnérabilité génétique aux CS, spécifique et indépendante des facteurs génétiques intervenant dans la vulnérabilité aux affections psychiatriques associées aux CS (par exemple, trouble bipolaire, schizophrénie, alcoolisme). Récemment, de nouvelles approches utilisant les outils de la génétique moléculaire ont été proposées pour l’identification de facteurs génétiques de vulnérabilité pour des affections à étiologie complexe. Les études de psychiatrie biologique mettant en cause un dysfonctionnement du système sérotoninergique dans la physiopathologie des CS, les premières études génétiques d’association ont testé des gènes candidats codants pour des protéines participant au métabolisme de la sérotonine. Les résultats de ces études suggèrent notamment que le gène codant pour l’enzyme limitante de la synthèse de la sérotonine, la tryptophane hydroxylase, et le gène du transporteur de la sérotonine interviennent dans la vulnérabilité aux CS. De plus, il est probable que ces gènes interagissent entre eux ainsi qu’avec des facteurs environnementaux (précoces) et qu’ils interviennent de façon différente au niveau phénotypique. L’identification des phénotypes précis associés aux gènes de vulnérabilité aux CS, ou phénotypes intermédiaires (par exemple, impulsivité, dyscontrôle de la colère), constitue un des enjeux que tentent de résoudre les études en cours.
Introduction
L’Organisation mondiale de la santé estime à près d’un million le nombre de morts par suicide pour l’an 2000 dans le monde. Même si les données épidémiologiques varient d’un pays à l’autre, ce phénomène est devenu dans tous les pays industrialisés un important problème de santé publique. Les stratégies de prévention du suicide nécessitent d’identifier des cibles thérapeutiques. Or, le nombre des facteurs de risque et la complexité de leurs interactions ne permettent pas de prédire avec suffisamment de justesse la possibilité de survenue d’une conduite suicidaire (CS) chez un individu donné. L’analyse des facteurs de risque permet de constituer des modèles intégratifs complexes au sein desquels interagissent ces facteurs à des niveaux très différents1,2.
Le domaine de la psychiatrie biologique, encore largement inexploré, pourrait permettre de fournir des marqueurs du risque suicidaire. Les données actuelles concernant les bases neurobiologiques des CS privilégient l’implication d’un dysfonctionnement du système sérotoninergique central, indépendamment des diagnostics de troubles psychiatriques3. En outre, plusieurs études suggèrent que les marqueurs de la fonction sérotoninergique sont peut-être des marqueurs traits, potentiellement prédictifs de l’émergence des CS chez des sujets à risque. L’hypothèse la mieux étayée actuellement considère que le dysfonctionnement sérotoninergique au niveau du cortex orbitofrontal entraîne un dyscontrôle de l’agressivité, qui pourrait à son tour conduire à une propension accrue aux passages à l’acte lorsque les sujets sont soumis à des facteurs de stress environnementaux ou psychiatriques (dépression).
Les études de génétique épidémiologique, qu’il s’agisse d’études familiales, d’adoption ou de jumeaux, suggèrent l’existence d’un facteur de vulnérabilité génétique aux CS4. Si l’existence de formes familiales de suicide est connue de longue date, il existe maintenant quelques études qui permettent de supposer que les facteurs familiaux de risque suicidaire sont peut-être indépendants des facteurs de vulnérabilité pour les troubles psychiatriques5,6. En outre, l’héritabilité pourrait être importante, de l’ordre de 55% pour les tentatives de suicide graves7.
L’observation de l’existence de facteurs génétiques dans la vulnérabilité aux CS a légitimement conduit à la réalisation d’études de biologie moléculaire dans le but d’identifier précisément les gènes impliqués. Les CS, comme les troubles psychiatriques, sont des maladies à hérédité complexe, c’est-à-dire non liées à un mode de transmission mendélien dominant ou récessif, mais plutôt à l’action de plusieurs gènes intervenant en interaction avec des facteurs environnementaux et développementaux8. Au premier rang des stratégies développées actuellement pour identifier ces gènes et employant des méthodes non paramétriques, figurent les études d’association qui utilisent des variations de séquence de «gènes candidats». Un gène candidat est défini comme un gène codant pour une protéine potentiellement impliquée dans les mécanismes physiopathologiques de l’affection étudiée. Les gènes codant pour des protéines intervenant dans la régulation du métabolisme de la sérotonine sont donc naturellement des gènes candidats de vulnérabilité pour les CS. Les études d’association populationnelles comparent les fréquences alléliques et les distributions génotypiques d’un marqueur génétique dans des échantillons de patients non apparentés, d’une part, et de témoins, d’autre part. Un allèle particulier d’un gène candidat est associé avec le trait s’il est significativement plus fréquent chez les sujets atteints que chez les témoins. Les succès des études d’association dans l’identification de gènes de vulnérabilité pour des affections telles que la maladie d’Alzheimer et le diabète de type I expliquent leur développement considérable en psychiatrie9. Toutefois, comme nous le discuterons, l’existence de biais de différentes natures dans les études cas-témoins peut conduire à des résultats parfois contradictoires9–11.
Revue des études d’association
Gène de la tryptophane hydroxylase
La tryptophane hydroxylase (TPH), enzyme qui intervient lors de l’étape initiale et limitante de la synthèse de la sérotonine, est codée par deux gènes. Le premier cloné (TPH1) est situé sur le bras court du chromosome 11 (11p15.3–p14)12. Le second (TPH2 ou nTPH) est localisé sur le chromosome 1213. Chez la souris, TPH1 est le seul gène TPH exprimé au niveau périphérique (dans le duodénum), alors que TPH2 est exprimé 150 fois plus que TPH1 dans le tronc cérébral13. Chez l’humain, les deux gènes sont exprimés dans le système nerveux central dans un rapport TPH1:TPH2 de 1:50 (données personnelles).
Notre groupe a réalisé plusieurs études d’association, de type cas-témoins, testant l’hypothèse de l’implication de TPH1 dans la vulnérabilité aux CS, dans des populations distinctes de sujets hospitalisés pour tentative de suicide et de patients atteints de troubles bipolaires. La première étude, dans laquelle nous avons testé un marqueur de localisation indéterminée (Ava II / C2–38), ne montrait pas d’association14. Les études réalisées par la suite ont utilisé deux polymorphismes dialléliques en déséquilibre de liaison et situés dans l’intron 7 (allèles A et C pour A779C et A218C)15, et certaines plus récentes ont testé un ensemble de marqueurs couvrant l’ensemble du gène permettant l’étude d’haplotypes16–18. Nous avons rapporté l’association entre plusieurs marqueurs de TPH1 et les CS, indépendamment des diagnostics psychiatriques des patients18. Cette association est plus marquée pour les CS violentes, d’après la classification retenue par Asberg et al.19 : la fréquence de l’allèle A218 est de 36 %, 45 % et 51 %, respectivement, chez les sujets exempts d’histoire de CS, chez les suicidants qui ont réalisé des gestes non violents et chez les suicidants ayant utilisé un moyen violent. En conséquence, le risque de tentative de suicide associé à l’allèle A est de 1,54 (intervalle de confiance [IC] à 95 % 1,19–1,98) et le risque de tentative de suicide violente associé à l’homozygotie pour A est de 3,69 (IC 95 % 1,64–8,29)18.
Bellivier et al.20 ont rapporté antérieurement une association entre TPH1 et le trouble bipolaire : la fréquence de l’allèle A est de 36 % chez les témoins et de 52 % chez les personnes atteintes de troubles bipolaires. Toutefois, on observe une augmentation statistiquement significative de la fréquence de l’allèle A en tenant compte de l’histoire de CS chez les personnes atteintes de troubles bipolaires : 36 % chez les témoins, 48 % chez les personnes bipolaires sans antécédent suicidaire, 55 % chez les personnes bipolaires suicidantes non violentes et 57 % chez les personnes bipolaires qui présentent une histoire de CS violente20. Cette constatation suggère que l’association rapportée avec le trouble bipolaire est peut-être en fait liée aux CS21. Quatre études ultérieures ne rapportent pas d’association entre TPH1 et le trouble bipolaire22–25. Il s’agit de trois études d’association populationnelles qui comparent des sujets présentant un trouble bipolaire à des témoins, et d’une étude d’association familiale qui ne retrouve pas de transmission préférentielle d’un allèle de ce marqueur des parents hétérozygotes à l’enfant atteint (étude de trios). Dans trois de ces études, la population de patients bipolaires a été stratifiée selon l’existence d’une histoire de CS. Ni Furlong et al.22, ni Tsai et al.24 ne rapportent d’association avec les CS chez les sujets atteints de troubles bipolaires. Kirov et al.25 rapportent une augmentation non significative de la fréquence de l’allèle A218 dans le sous-groupe de sujets atteints de troubles bipolaires ayant une histoire de CS (n = 43, 45 % c. 36 % dans le groupe de sujets atteints de troubles bipolaires sans histoire suicidaire). Les discordances des études d’association entre le trouble bipolaire et TPH1 pourraient être dues à une différence de recrutement clinique : des particularités cliniques, telles que les CS, présentes au sein de certaines des populations étudiées et non dans d’autres, pourraient expliquer les résultats divergents. Les résultats de Bellivier et al.20,21 et de Kirov et al.25 suggèrent que l’existence d’une association entre TPH1 et le trouble bipolaire soit attribuée aux sujets bipolaires présentant une histoire de CS, qui ont des fréquences de l’allèle A218 régulièrement plus élevées. Ainsi, un dysfonctionnement sérotoninergique, en partie génétiquement déterminé, pourrait être associé à un trait psychobiologique qui serait un facteur de vulnérabilité retrouvé chez certains sujets bipolaires, ce trait pouvant être étroitement lié aux CS. Au total, un variant de TPH1 semble intervenir dans la susceptibilité aux CS et(ou) à un trait commun avec le trouble bipolaire. Les données cliniques et biochimiques suggèrent que ce trait serait l’impulsivité agressive.
L’allèle A de l’intron 7, que nous retrouvons associé avec les CS, a également été associé avec les taux bas de 5-HIAA, le principal métabolite de la sérotonine, dans le liquide céphalo-rachidien26 et une réponse atténuée de prolactine au test à la fenfluramine27. Cet ensemble de données trouve ainsi une cohérence relativement robuste et l’on peut émettre l’hypothèse que l’hypofonctionnement sérotoninergique soit la conséquence d’une diminution de l’activité enzymatique de la TPH (moindre synthèse de sérotonine). Le polymorphisme intronique (intron 7) pourrait affecter la transcription ou être en déséquilibre de liaison avec un autre polymorphisme fonctionnel, d’où résulterait une altération de l’activité enzymatique. Dans notre étude18, où ont été utilisés des marqueurs situés sur l’ensemble du gène, nous rapportons une association avec les marqueurs situés dans la région de TPH1 en 3’ de l’intron 3, région qui code pour la partie catalytique de l’enzyme TPH, ce qui suggère que le variant fonctionnel responsable de l’association soit localisé dans cette partie du gène.
Le rôle du gène TPH dans la vulnérabilité aux CS n’est pas expliqué par la participation de ce gène dans la vulnérabilité aux troubles de l’humeur. Plusieurs études permettent d’écarter cette hypothèse : l’étude de Mann et al.28 qui compare des personnes atteintes de dépression grave avec et sans histoire de CS, l’étude de Bellivier et al.20 qui compare des personnes atteintes de troubles bipolaires avec et sans histoire de CS, l’étude d’Abbar et al.18 où les patients suicidants présentent différents types de troubles psychiatriques, et les études de Nielsen et al.29,30 qui portent sur des sujets criminels.
Si les études ont porté en majorité sur le phénotype «tentative de suicide», certaines ont montré que l’association était plus marquée chez les sujets qui ont posé un geste suicidaire en utilisant un moyen violent. Bien que la caractéristique violente d’un geste suicidaire puisse faire intervenir différentes dimensions, comme l’intensité de l’intention suicidaire ou la létalité, ces résultats sont cohérents avec les résultats des études biochimiques, où les taux céphalo-rachidiens de 5-HIAA ont été rapportés plus bas chez les suicidants violents. Parmi les études récentes qui ont testé l’implication de TPH1 dans la vulnérabilité au suicide17,31,32, seule celle de Turecki et al.17 a permis d’observer une association. Il est toutefois impossible, sur la base des résultats actuels, de déterminer si le trait associé à la vulnérabilité aux CS est quantitatif (plus il est marqué, plus le geste suicidaire est grave et(ou) violent) ou qualitatif (seuls les individus réalisant des gestes graves et(ou) violents en sont porteurs).
Plusieurs autres études menées par divers groupes, dans des populations différentes sur les plans ethnique et clinique, rapportent des résultats variables et parfois discordants33. Les études de Nielsen et al.29,30 et celle de Mann et al.28 conduisent à des conclusions différentes qui restent difficiles à réconcilier. Sur le plan de l’association entre TPH1 et les CS, l’étude finlandaise29,30, réalisée dans une population de criminels alcooliques, suggère l’existence d’un rôle protecteur pour l’allèle A779 et l’étude de Mann et al.28, réalisée chez des personnes atteintes de dépression grave, suggère l’existence d’un rôle protecteur pour l’allèle C779. Sur le plan de l’association entre les taux de 5-HIAA et TPH1, les quelques études rapportent également des résultats contradictoires. Nielsen et al.29,30 rapportent dans leur première étude une association entre les taux bas de 5-HIAA et l’allèle C779 seulement dans le groupe de criminels impulsifs, résultat qu’ils ne confirment pas dans l’étude de réplication. Mann et al.28, sur un effectif très réduit de 11 sujets, ne retrouvent pas d’association.
Plusieurs hypothèses peuvent être posées pour tenter d’expliquer ces discordances. Celles-ci peuvent être dues à des faux positifs, à des faux négatifs ou à une réelle variabilité de l’effet entre les populations34. Il est commun de considérer que les études cas-témoins sont soumises à un risque majeur de faux positifs. Le biais de stratification (différence de prévalence de la maladie et de fréquence des allèles étudiés entre les populations d’où sont extraits les cas et les témoins) est la raison la plus fréquemment avancée pour expliquer une association positive. Ce biais est en fait probablement de peu d’influence, comme le suggèrent Cardon et Palmer35. En revanche, la sur-interprétation de résultats statistiques marginaux, en particulier du fait de l’absence de prise en compte des tests multiples, et la faible probabilité a priori de l’implication des gènes candidats retenus, sont probablement des causes plus communes de non réplication. Ainsi, au regard de l’association entre TPH1 et les CS, le clonage récent d’un deuxième gène TPH, davantage exprimé dans le système nerveux central, peut conduire à considérer que TPH1 n’était pas le «bon candidat». En fait, d’une part, TPH1 est bien exprimé dans le système nerveux central13 (et données personnelles), et d’autre part, comme il n’existe pas de relation simple entre le taux d’ARN messager d’un gène et l’importance fonctionnelle de la protéine qu’il code36, rien ne permet de dire à ce jour que TPH2 est plus important que TPH1 pour la vulnérabilité aux CS.
L’existence d’études de réplication faussement négatives a récemment fait l’objet de plus d’attention34. Celles-ci seraient dues à la combinaison de la surestimation de l’effet génétique du variant étudié dans l’étude positive initiale et de la puissance insuffisante des études de réplication pour détecter l’effet réel de ce variant. Seule la réalisation d’études de très grands échantillons ou de méta-analyses permettrait d’évaluer l’effet réel d’un tel variant9,34. En ce qui concerne TPH1, plusieurs méta-analyses ont été récemment réalisées37–39. Dans la première étude37 sont incluses indistinctement des études portant sur des populations ethniquement différentes et sur les deux marqueurs de l’intron 7 qui, n’étant pas en déséquilibre de liaison complet, ne sont pas identiques. L’hétérogénéité ainsi introduite peut suffire à expliquer la conclusion négative. En revanche, en n’incluant que les études comparables, Bellivier et al.38 ainsi que Rujescu et al.39 confirment l’association entre l’allèle A218 et les CS en population caucasienne. En outre, l’importance de cet effet peut varier d’une population à l’autre, soit du fait de leur origine ethnique, soit en raison de leurs caractéristiques cliniques différentes.
La diversité des modes de recrutement des suicidants dans les différentes études ne peut pas expliquer à elle seule les variations concernant l’association entre TPH1 et les CS. Cependant, il est certainement important de prendre en compte toutes les caractéristiques cliniques associées aux CS. D’autre part, les divergences de résultats entre ces études pourraient être liées à une variation, entre groupes ethniques, du déséquilibre de liaison entre le marqueur silencieux de l’intron 7 et le variant fonctionnel potentiel conférant une vulnérabilité pour les CS chez des sujets psychiatriques à risque, qu’il s’agisse de personnes atteintes de dépression ou de délinquants violents alcooliques40. Il est tentant de spéculer que les influences génétiques sur un phénotype donné puissent varier au sein de groupes de sujets présentant des caractéristiques cliniques différentes11. Il est donc impératif de réaliser des études au sein de populations de patients et de sujets sains parfaitement bien caractérisées. La différence entre nos résultats et ceux de Mann et al.28 peut être expliquée par le fait que deux variants différents, l’un en déséquilibre de liaison avec l’allèle A et l’autre en déséquilibre de liaison avec l’allèle C, sont associés respectivement avec la susceptibilité et la protection pour les CS. Ainsi, il a été rapporté, de façon similaire, des effets opposés de deux allèles au même locus (polymorphisme multiallélique) pour le gène de l’apolipoprotéine E (ApoE) dans la maladie d’Alzheimer41. L’allèle ApoE e4 est associé avec un risque accru de maladie d’Alzheimer, tandis que l’allèle e2 est protecteur. Dans le même ordre d’idée, il est envisageable que les deux variants fonctionnels associés l’un au risque suicidaire, l’autre à la protection, soient en déséquilibre de liaison avec les allèles A et C respectivement dans une population donnée, et du fait d’un événement de recombinaison précoce dans une autre population plus récente avec un effet fondateur. Cette hypothèse permettrait d’expliquer les résultats en apparence opposés entre les différentes études de sujets caucasiens d’Europe occidentale ou de pays scandinaves, par exemple33. Les études portant sur des haplotypes tels qu’ils ont été décrits par Paoloni-Giacobino et al.42 et Rotondo et al.16 permettraient d’apporter un éclairage pertinent pour résoudre ce problème. Ainsi, Turecki et al.17 rapportaient récemment une association entre le suicide et un haplotype (−6526G −5806T 218C), alors qu’il n’existait pas de différence pour chacun des polymorphismes pris séparément.
Si la presque totalité des études sont de type castémoins, deux études utilisent des méthodologies différentes. En utilisant la méthode des paires de germains (366 fratries), Nielsen et al.30 ont confirmé les résultats issus de leur étude d’association. Les auteurs rapportent l’existence d’une liaison génétique entre TPH1 et l’existence de CS, qui paraît liée à l’histoire de tentative de suicide grave, mais aussi d’une liaison avec l’alcoolisme de type 1, c’est à dire sans comportement antisocial, et avec un score bas de socialisation. Une seule étude d’association intra-familiale a été publiée jusqu’à présent pour ce qui concerne les CS43. Cette étude qui porte sur 88 adolescents suicidants, et 40 trios, et qui teste le marqueur A218C de l’intron 7, ne retrouve pas d’association. Si l’intérêt principal de ce type d’étude, par rapport aux études cas-témoins, est d’éviter le biais de stratification ethnique, il faut noter que le problème du nombre de trios à inclure se fait encore plus sensible, limitation principale de cette étude.
En l’absence de davantage d’arguments permettant de conclure, ces résultats doivent être interprétés avec prudence et nécessitent d’autres études portant sur des populations différentes et utilisant de nouveaux marqueurs pour la réalisation d’haplotypes. Cependant, cet ensemble d’études permet de suggérer l’intervention d’un ou plusieurs variants du gène codant pour la TPH dans la vulnérabilité aux CS (tentatives de suicide et suicides).
Gène du transporteur de la sérotonine
Le transporteur de la sérotonine joue un rôle majeur dans la régulation du taux de sérotonine synaptique, en assurant sa capture présynaptique après sa libération, ce qui fait du gène codant pour le transporteur de la sérotonine, situé sur le bras long du chromosome 17 (17q11.1–q12), un autre gène candidat pertinent dans l’étude des CS. Rappelons que plusieurs études rapportent une diminution du nombre de transporteurs au niveau du cortex préfrontal ventral, anomalie qui serait spécifique des CS indépendamment de la dépression44. D’autre part, un polymorphisme fonctionnel de la région promotrice du gène a été identifié (5HTTLPR). In vitro, l’allèle court (S) est associé à une moindre expression du gène et à une diminution de la capture de sérotonine45. Plusieurs études réalisées in vivo suggèrent aussi que l’allèle S est associé à une modification fonctionnelle du transporteur de la sérotonine et du système sérotoninergique. Heinz et al.46 ont montré dans une étude d’imagerie («single-photon emission computed tomography» [SPECT]) que l’allèle S est associé à une diminution de l’expression du transporteur de la sérotonine au niveau du raphé. Reist et al.47 observent dans un groupe mixte de sujets alcooliques et de témoins sains une réponse émoussée de prolactine au test à la fenfluramine chez les sujets porteurs de l’allèle S du 5HTTLPR.
La première étude publiée sur les CS rapporte une augmentation, non significative, de la fréquence de l’allèle long (L) chez 24 sujets déprimés et décédés par suicide comparés à des témoins sans antécédents psychiatriques, appariés pour l’âge et le sexe48. Par la suite, une série d’études a rapporté une association entre le marqueur 5HTTLPR du gène du transporteur de la sérotonine et les CS violentes ou graves, avec une augmentation de la fréquence de l’allèle S chez les cas en comparaison aux témoins. Ces études ont été réalisées par des groupes différents et ont porté sur diverses populations de patients, alcooliques49, bipolaires50 et de diagnostics inconnus51. Nous avons répliqué cette association avec les CS violentes dans un groupe de patients présentant des diagnostics variés, mais ayant une histoire de dépression pour les deux tiers : la fréquence de l’allèle S est de 56 % chez les suicidants violents et de 42 % chez les témoins52. Ces résultats conduisent à penser que le variant du 5HTTLPR est préférentiellement associé avec le phénotype violent des CS, quelle que soit la gravité du geste en terme de conséquences létales (suicide ou tentative de suicide). En effet, ces études portaient sur des sujets ayant manifesté des CS violentes, qu’il s’agisse de tentatives de suicide50,52 ou de suicides51. L’étude de Gorwood et al.49 montre une association avec le nombre de tentatives et leur gravité. Plusieurs autres études, toutes négatives, portent sur des sujets suicidants ou décédés par suicide, pour lesquels la notion de l’existence de gestes violents n’est pas précisée44,53–56 ou exclue57. Ces données en faveur de l’intervention du gène du transporteur de la sérotonine dans la vulnérabilité aux CS violentes sont à rapprocher des résultats des études de Sander et al.58 et de Hallikainen et al.59, où l’allèle S est associé aux comportements violents chez des sujets présentant un alcoolisme de type II.
La diminution du nombre de transporteurs de la sérotonine au niveau du cortex orbito-frontal est une donnée classique des études post-mortem chez les sujets suicidés. De plus, dans une étude de neuroimagerie par SPET, Tiihonen et al.60, en comparant des sujets alcooliques impulsifs et violents, des témoins sains et des sujets alcooliques non violents, rapportent une association entre la diminution de densité du transporteur de la sérotonine et les comportements agressifs impulsifs. Toutefois, les résultats des deux études post-mortem qui ont cherché à établir un lien entre cet indice du fonctionnement sérotoninergique et le génotype du transporteur de la sérotonine sont peu contributifs : Du et al.48 rapportent une tendance à une association entre l’allèle S et la densité des transporteurs dans le cortex préfrontal, alors que Mann et al.44 ne retrouvent aucune association.
Un second polymorphisme («variable number of tandem repeats» [VNTR]) situé dans le second intron a également été identifié et très étudié dans les troubles de l’humeur. Bellivier et al.61 ne rapportent pas d’association entre ce marqueur et les CS chez des patients atteints de troubles bipolaires. Evans et al.62 ne rapportent pas d’association pour ce marqueur chez 384 suicidants (non violents à 94%) et 346 témoins.
Une seule étude d’association intra-familiale a été réalisée63. Cette étude portant sur 39 trios ne rapporte pas d’association avec le 5HTTLPR.
Gène de la monoamine oxydase (MAO-A)
La littérature suggère fortement l’intervention du gène MAO-A dans les comportements violents, dans les CS et dans certains traits de personnalité de type impulsifs agressifs64. Dans une famille hollandaise caractérisée par l’existence de comportements agressifs chez les hommes, Brunner et al.65 ont identifié une mutation du gène MAO-A, responsable d’un déficit complet et sélectif de MAO-A, associé à des comportements agressifs et violents. L’intervention de ce gène est également soutenue par le modèle de souris transgéniques qui expriment des caractères agressifs66.
Plusieurs études ont testé l’association du gène MAO-A avec les CS. Dans une étude de patients présentant des troubles de l’humeur, Ho et al.67 rapportent une association entre deux marqueurs du gène MAO-A et l’existence de tentatives de suicide chez des patients atteints de troubles bipolaires, association plus marquée chez les femmes. Dans cette étude, testant différents marqueurs de nombreux gènes pour plusieurs caractéristiques cliniques, les résultats ne tiennent pas compte de la correction pour tests multiples. Kunugi et al.68 ne rapportent pas d’association entre un VNTR fonctionnel situé dans la région promotrice du gène MAO-A (MAO-A-uVNTR) et les CS chez des patients atteints de troubles unipolaires et bipolaires. Enfin, Ono et al.69 ne rapportent pas d’association entre ce dernier marqueur et le suicide.
Bien qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de preuve de l’intervention de MAO-A dans la vulnérabilité aux CS, ce gène demeure pertinent pour la compréhension de l’étiopathogénie des phénotypes liés à l’agressivité. Ainsi, Caspi et al.70 ont récemment publié une étude qui ouvre de nombreuses perspectives. Ces auteurs ont rapporté, dans une étude prospective de 26 ans portant sur un échantillon de taille importante, l’existence d’une interaction entre un marqueur fonctionnel du gène MAO-A et une histoire de mauvais traitements subis dans l’enfance sur le risque d’apparition ultérieure de comportements antisociaux.
Gènes des récepteurs de la sérotonine (5-HT) 5-HT1B et 5-HT2A
Le gène codant pour le récepteur 5-HT1B est un gène candidat intéressant du fait de la démonstration que les souris knockout pour ce gène expriment des comportements agressifs71. Huang et al.72 ne rapportent pas d’association entre deux polymorphismes silencieux de ce gène et le suicide, tandis que New et al.73 rapportent une association avec les CS dans un échantillon de 90 sujets caucasiens présentant un trouble de la personnalité.
Le gène codant pour le récepteur 5-HT2A est un gène candidat d’intérêt, puisque les études post-mortem des cerveaux de suicidés ont régulièrement montré une augmentation du nombre de ces récepteurs au niveau du cortex préfrontal. Si plusieurs polymorphismes ont été identifiés dans ce gène, l’un d’entre eux (102 T/C) a été plus particulièrement étudié dans le domaine qui nous intéresse. Zhang et al.74 rapportent une association avec les tentatives de suicide dans un échantillon de taille limitée de sujets atteints de dépression grave, tandis que ni Turecki et al.75, ni Geijer et al.56 ne rapportent d’association avec le suicide ou les tentatives de suicide. De façon intéressante, Turecki et al.75 dans la même étude rapportent une augmentation du nombre de récepteurs 5-HT2A dans le cortex préfrontal des sujets suicidés, qui est de plus associée au génotype 5-HT2A. Dans cette étude, les auteurs ont testé le polymorphisme T102C, et un marqueur en déséquilibre complet de liaison, A-1438G. Récemment, Bonnier et al.76 ont rapporté l’association entre 1438 A/G et un risque diminué de CS chez les patients présentant un trouble bipolaire. Si ces résultats restent difficiles à interpréter dans leur ensemble, ils soulèvent, entre autres, la question de l’influence spécifique de certains facteurs génétiques sur le risque suicidaire dans telle ou telle population clinique.
Recherche de phénotypes intermédiaires
Si de nombreux travaux restent nécessaires pour préciser le rôle de chacun de ces gènes notamment au niveau fonctionnel, les études actuelles ont pour objet d’identifier les phénotypes exacts, appelés «phénotypes intermédiaires», qui leur sont associés77. Ainsi, il a été largement montré que les traits de personnalité tels que l’agressivité et l’impulsivité sont associés aux CS et aux comportements violents. En outre, l’étude des données récentes de psychobiologie met en évidence une corrélation entre une diminution de l’activité sérotoninergique dans le système nerveux central et des traits de personnalité tels que l’impulsivité agressive, l’irritabilité, l’hostilité, les conduites antisociales ou une recherche de sensations fortes, sans prendre en compte les catégories diagnostiques de troubles de la personnalité, trop hétérogènes78. Il est aussi envisageable que le «syndrome sérotonine basse»79 puisse augmenter la propension à ressentir de la colère ou faciliter la libération de la colère à travers un passage à l’acte violent.
Á l’heure actuelle, plusieurs études ont testé l’intervention des gènes TPH et du transporteur de la sérotonine dans la constitution de traits de personnalité en rapport notamment avec l’impulsivité agressive et la colère27, le névrosisme45 ou le désespoir54. La recherche de variants génétiques associés à ces traits de personnalité montre que nous sommes face à des traits psychologiques complexes, dont l’association à un gène donné représente une partie modeste de la contribution génétique45. Ceci nécessite des études de réplication dans des populations de taille suffisante. Les études d’association permettent d’étudier les interactions entre différents polymorphismes dans le but de mieux appréhender la contribution du rôle des gènes aux troubles du comportement et de la personnalité, dont l’architecture est complexe et l’origine, hétérogène80. Les effets pléiotropiques des polymorphismes sont également à prendre en compte, à l’exemple du 5HTTLPR qui semble associé à plusieurs phénotypes (troubles de l’humeur saisonniers, manie induite par les antidépresseurs, CS, comportements violents) pouvant tous être liés à l’instabilité affective81.
Récemment, Hariri et al.82 ont rapporté l’existence d’une association entre 5HTTLPR et l’activité de l’amygdale, mesurée par l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, lorsque les sujets sont soumis à une tâche cognitive. Si ces résultats semblent indiquer que le gène du transporteur de la sérotonine influence les processus mis en jeu dans l’anxiété, ils suggèrent également que le couplage de la biologie moléculaire et d’autres techniques comme l’imagerie fonctionnelle ou la neuropsychologie ouvre des perspectives passionnantes dans la recherche des phénotypes intermédiaires.
Conclusion
Le dysfonctionnement du système sérotoninergique central, qui a été impliqué depuis de nombreuses années dans la physiopathologie des CS, semble être l’une des voies par lesquelles s’expriment la vulnérabilité génétique aux CS. Les études de gènes candidats ne sont que des étapes préliminaires, et l’étude future des phénotypes intermédiaires, qu’ils soient cliniques, neuropsychologiques ou issus de la neuro-imagerie, dans de grandes populations de sujets, devrait apporter une contribution à l’identification de cibles accessibles à des mesures de prévention.
Finalement, les recherches en psychiatrie génétique (génétique épidémiologique et actuellement génétique moléculaire) ont permis un certain nombre d’avancées dans le domaine des CS. Les premières études de «gènes candidats» ont permis d’obtenir des résultats prometteurs qui suggèrent que des facteurs génétiques de vulnérabilité aux CS agissent par la voie du système sérotoninergique. Il s’agit certainement d’un fait important dans un secteur où les faits sociaux tendent à prévaloir et à apporter des explications étiologiques univoques, ce qui a d’ailleurs des conséquences dommageables pour le patient, que l’on s’intéresse moins à sa personne qu’à son environnement social. De plus, ces résultats de génétique moléculaire, qui certes doivent être répliqués, pourraient indiquer, comme le suggèrent les études de génétique épidémiologique, une relative spécificité des facteurs génétiques de vulnérabilité aux CS. Ajoutées aux nombreux arguments cliniques, biologiques et thérapeutiques récents, ces données devraient nous faire considérer que les CS constituent une entité autonome au sein de la nosologie psychiatrique. Les CS constituent en elles-mêmes un fait clinique particulier qui nécessite une prise en charge spécifique, et ne sont pas de simples complications, synonymes du mauvais pronostic de telle ou telle affection, vision entachée d’un certain déterminisme et de fatalisme de la part de certains soignants.
Remerciements
Ce travail a bénéficié du soutien financier de l’Unité de Recherche Clinique du Centre Hospitalier Universitaire de Montpellier (PHRC UF 7653) et de la Fondation pour la Recherche Médicale, attribués au Dr P. Courtet, et du Fond National Suisse (31-53849.98 et 32-66793.01), attribué au Dr A. Malafosse.
Footnotes
Medical subject headings: bipolar disorder; depression; genetics; gene expression; serotonin; suicide; tryptophan hydroxylase.
Intérêts concurrents : Aucun déclaré.
- Received January 29, 2003.
- Revision received August 19, 2003.
- Accepted September 17, 2003.